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LES ROUGON-MACQUART.

une belle nuit de crevaison, cette nuit sale qui tombait sur ses épaules !

Elle montait lourdement la rue des Poissonniers, lorsqu’elle entendit la voix de Coupeau. Oui, il était là, à la Petite-Civette, en train de se faire payer une tournée par Mes-Bottes. Ce farceur de Mes-Bottes, vers la fin de l’été, avait eu le truc d’épouser pour de vrai une dame, très décatie déjà, mais qui possédait de beaux restes ; oh ! une dame de la rue des Martyrs, pas de la gnognotte de barrière. Et il fallait voir cet heureux mortel, vivant en bourgeois, les mains dans les poches, bien vêtu, bien nourri. On ne le reconnaissait plus, tellement il était gras. Les camarades disaient que sa femme avait de l’ouvrage tant qu’elle voulait chez des messieurs de sa connaissance. Une femme comme ça et une maison de campagne, c’est tout ce qu’on peut désirer pour embellir la vie. Aussi Coupeau guignait-il Mes-Bottes avec admiration. Est-ce que le lascar n’avait pas jusqu’à une bague d’or au petit doigt !

Gervaise posa la main sur l’épaule de Coupeau, au moment où il sortait de la Petite-Civette.

— Dis donc, j’attends, moi… J’ai faim. C’est tout ce que tu paies ?

Mais il lui riva son clou de la belle façon.

— T’as faim, mange ton poing !… Et garde l’autre pour demain !

C’est lui qui trouvait ça patagueule, de jouer le drame devant le monde ! Eh bien ! quoi ! il n’avait pas travaillé, les boulangers pétrissaient tout de même. Elle le prenait peut-être pour un dépuceleur de nourrices, à venir l’intimider avec ses histoires.

— Tu veux donc que je vole ? murmura-t-elle d’une voix sourde.