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L’ASSOMMOIR.

vait porter malheur d’être ainsi les uns sur les autres, dans ces grandes gueuses de maisons ouvrières ; on y attraperait le choléra de la misère. Ce soir-là, tout le monde paraissait crevé. Elle écoutait seulement les Boche ronfler, à droite ; tandis que Lantier et Virginie, à gauche, faisaient un ronron, comme des chats qui ne dorment pas et qui ont chaud, les yeux fermés. Dans la cour, elle se crut au milieu d’un vrai cimetière ; la neige faisait par terre un carré pâle ; les hautes façades montaient, d’un gris livide, sans une lumière, pareilles à des pans de ruine ; et pas un soupir, l’ensevelissement de tout un village raidi de froid et de faim. Il lui fallut enjamber un ruisseau noir, une mare lâchée par la teinturerie, fumant et s’ouvrant un lit boueux dans la blancheur de la neige. C’était une eau couleur de ses pensées. Elles avaient coulé, les belles eaux bleu tendre et rose tendre !

Puis, en montant les six étages, dans l’obscurité, elle ne put s’empêcher de rire ; un vilain rire, qui lui faisait du mal. Elle se souvenait de son idéal, anciennement : travailler tranquille, manger toujours du pain, avoir un trou un peu propre pour dormir, bien élever ses enfants, ne pas être battue, mourir dans son lit. Non, vrai, c’était comique, comme tout ça se réalisait ! Elle ne travaillait plus, elle ne mangeait plus, elle dormait sur l’ordure, sa fille courait le guilledou, son mari lui flanquait des tatouilles ; il ne lui restait qu’à crever sur le pavé, et ce serait tout de suite, si elle trouvait le courage de se flanquer par la fenêtre, en rentrant chez elle. N’aurait-on pas dit qu’elle avait demandé au ciel trente mille francs de rente et des égards ? Ah ! vrai, dans cette vie, on a beau être modeste, on peut se fouiller ! Pas même la pâtée et la niche, voilà le sort commun.