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Page:Zola - L'Assommoir.djvu/62

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LES ROUGON-MACQUART.

guement souriante, avait saisi ses mains, l’attirait vers lui. Elle était dans une de ces heures d’abandon dont elle se méfiait tant, gagnée, trop émue pour rien refuser et faire de la peine à quelqu’un. Mais le zingueur ne comprit pas qu’elle se donnait ; il se contenta de lui serrer les poignets à les broyer, pour prendre possession d’elle ; et ils eurent tous les deux un soupir, à cette légère douleur, dans laquelle se satisfaisait un peu de leur tendresse.

— Vous dites oui, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

— Comme vous me tourmentez ! murmura-t-elle. Vous le voulez ? eh bien, oui… Mon Dieu, nous faisons là une grande folie, peut-être.

Il s’était levé, l’avait empoignée par la taille, lui appliquait un rude baiser sur la figure, au hasard. Puis, comme cette caresse faisait un gros bruit, il s’inquiéta le premier, regardant Claude et Étienne, marchant à pas de loup, baissant la voix.

— Chut ! soyons sages, dit-il, il ne faut pas réveiller les gosses… À demain.

Et il remonta à sa chambre. Gervaise, toute tremblante, resta près d’une heure assise au bord de son lit, sans songer à se déshabiller. Elle était touchée, elle trouvait Coupeau très-honnête ; car elle avait bien cru un moment que c’était fini, qu’il allait coucher là. L’ivrogne, en bas, sous la fenêtre, avait une plainte plus rauque de bête perdue. Au loin, le violon à la ronde canaille se taisait.

Les jours suivants, Coupeau voulut décider Gervaise à monter un soir chez sa sœur, rue de la Goutte-d’Or. Mais la jeune femme, très timide, montrait un grand effroi de cette visite aux Lorilleux. Elle remarquait parfaitement que le zingueur avait une peur sourde du ménage. Sans doute il ne dépendait pas de