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LES ROUGON-MACQUART.

bout d’espoir ; il lui semblait que tout était fini, que les temps étaient finis, que Lantier ne rentrerait plus jamais. Elle allait, les regards perdus, des vieux abattoirs noirs de leur massacre et de leur puanteur, à l’hôpital neuf, blafard, montrant, par les trous encore béants de ses rangées de fenêtres, des salles nues où la mort devait faucher. En face d’elle, derrière le mur de l’octroi, le ciel éclatant, le lever de soleil qui grandissait au-dessus du réveil énorme de Paris, l’éblouissait.

La jeune femme était assise sur une chaise, les mains abandonnées, ne pleurant plus, lorsque Lantier entra tranquillement.

— C’est toi ! c’est toi ! cria-t-elle, en voulant se jeter à son cou.

— Oui, c’est moi, après ? répondit-il. Tu ne vas pas commencer tes bêtises, peut-être !

Il l’avait écartée. Puis, d’un geste de mauvaise humeur, il lança à la volée son chapeau de feutre noir sur la commode. C’était un garçon de vingt-six ans, petit, très-brun, d’une jolie figure, avec de minces moustaches, qu’il frisait toujours d’un mouvement machinal de la main. Il portait une cotte d’ouvrier, une vieille redingote tachée qu’il pinçait à la taille, et avait en parlant un accent provençal très-prononcé.

Gervaise, retombée sur la chaise, se plaignait doucement, par courtes phrases.

— Je n’ai pas pu fermer l’œil… Je croyais qu’on t’avait donné un mauvais coup… Où es-tu allé ? où as-tu passé la nuit ? Mon Dieu ! ne recommence pas, je deviendrais folle… Dis, Auguste, où es-tu allé ?

— Où j’avais affaire, parbleu ! dit-il avec un haussement d’épaules. J’étais à huit heures à la Glacière,