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L’ASSOMOIR.

chez cet ami qui doit monter une fabrique de chapeaux. Je me suis attardé. Alors, j’ai préféré coucher… Puis, tu sais, je n’aime pas qu’on me moucharde. Fiche-moi la paix !

La jeune femme se remit à sangloter. Les éclats de voix, les mouvements brusques de Lantier, qui culbutait les chaises, venaient de réveiller les enfants. Ils se dressèrent sur leur séant, demi-nus, débrouillant leurs cheveux de leurs petites mains ; et, entendant pleurer leur mère, ils poussèrent des cris terribles, pleurant eux aussi de leurs yeux à peine ouverts.

— Ah ! voilà la musique ! s’écria Lantier furieux. Je vous avertis, je reprends la porte, moi ! Et je file pour tout de bon, cette fois… Vous ne voulez pas vous taire ? Bonsoir ! je retourne d’où je viens.

Il avait déjà repris son chapeau sur la commode. Mais Gervaise se précipita, balbutiant :

— Non, non !

Et elle étouffa les larmes des petits sous des caresses. Elle baisait leurs cheveux, elle les recouchait avec des paroles tendres. Les petits, calmés tout d’un coup, riant sur l’oreiller, s’amusèrent à se pincer. Cependant, le père, sans même retirer ses bottes, s’était jeté sur le lit, l’air éreinté, la face marbrée par une nuit blanche. Il ne s’endormit pas, il resta les yeux grands ouverts, à faire le tour de la chambre.

— C’est propre, ici ! murmura-t-il.

Puis, après avoir regardé un instant Gervaise, il ajouta méchamment :

— Tu ne te débarbouilles donc plus ?

Gervaise n’avait que vingt-deux ans. Elle était grande, un peu mince, avec des traits fins, déjà tirés par les rudesses de sa vie. Dépeignée, en savates,