Page:Zola - La Débâcle.djvu/112

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Dans Falaise même, le village près duquel on était campé, Maurice venait de retrouver un ancien ami de son père, un petit fermier, qui justement allait conduire sa fille au Chêne, près d’une tante, et dont le cheval, attelé à une légère carriole, attendait.

Mais, avec le major Bouroche, dès les premiers mots, les choses faillirent mal tourner.

— C’est mon pied qui s’est écorché, monsieur le docteur…

Du coup, Bouroche, secouant sa tête puissante, au mufle de lion, rugit :

— Je ne suis pas monsieur le docteur… Qui est-ce qui m’a foutu un soldat pareil ?

Et, comme Maurice, effaré, bégayait une excuse, il reprit :

— Je suis le major, entendez-vous, brute !

Puis, s’apercevant à qui il avait affaire, il dut éprouver quelque honte, il s’emporta davantage.

— Votre pied, la belle histoire !… Oui, oui, je vous autorise. Montez en voiture, montez en ballon. Nous avons assez de traîne-la-patte et de fricoteurs !

Lorsque Jean aida Maurice à se hisser dans la carriole, ce dernier se retourna pour le remercier ; et les deux hommes tombèrent aux bras l’un de l’autre, comme s’ils n’avaient jamais dû se revoir. Est-ce qu’on savait, au milieu du branle de la retraite, avec ces Prussiens qui étaient là ? Maurice resta surpris de la grande tendresse qui l’attachait déjà à ce garçon. Et, deux fois encore, il se retourna, pour lui dire au revoir de la main ; et il quitta le camp, où l’on se préparait à allumer de grands feux, afin de tromper l’ennemi, pendant que l’on partirait, dans le plus grand silence, avant la pointe du jour.

En chemin, le petit fermier ne cessa de gémir sur l’abomination des temps. Il n’avait pas eu le courage de rester à Falaise ; et il regrettait déjà de ne plus y être,