Page:Zola - La Débâcle.djvu/114

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de lui, jusqu’à l’Hôtel de Ville, bourdonnait d’un flot compact de foule. Sur la place, il semblait qu’on faisait le vide, que des hommes écartaient les curieux. Et là, occupant un large espace, derrière le puits, il fut étonné d’apercevoir comme un parc de voitures, de fourgons, de chariots, tout un campement de bagages qu’il avait certainement vus déjà.

Le soleil venait de disparaître dans l’eau toute droite et sanglante du canal, et Maurice se décidait, lorsqu’une femme, près de lui, qui le dévisageait depuis un instant, s’écria :

— Mais ce n’est pas Dieu possible ! vous êtes bien le fils Levasseur ?

Alors, lui-même reconnut madame Combette, la femme du pharmacien, dont la boutique était sur la place. Comme il lui expliquait qu’il allait demander un lit à la bonne madame Desroches, elle l’entraîna, agitée.

— Non, non, venez jusque chez nous. Je vais vous dire…

Puis, dans la pharmacie, quand elle eut soigneusement refermé la porte :

— Vous ne savez donc pas, mon cher garçon, que l’empereur est descendu chez les Desroches… On a réquisitionné la maison pour lui, et ils ne sont guère satisfaits du grand honneur, je vous assure. Quand on pense qu’on a forcé la pauvre vieille maman, une femme de soixante-dix ans passés, à donner sa chambre et à monter se coucher sous les toits, dans un lit de bonne !… Tenez, tout ce que vous voyez là, sur la place, c’est à l’empereur, ce sont ses malles enfin, vous comprenez !

En effet, Maurice se les rappela alors, ces voitures et ces fourgons, tout ce train superbe de la maison impériale, qu’il avait vu à Reims.

— Ah ! mon cher garçon, si vous saviez ce qu’on a tiré de là dedans, et de la vaisselle d’argent, et des