La nuit tombait déjà, lorsque le 106e, à la lisière de ce bois, put enfin s’installer, tellement il y avait eu de confusion dans le choix et dans la désignation des emplacements.
— Zut ! dit furieusement Chouteau, je ne mange pas, je dors !
C’était le cri de tous les hommes. Beaucoup n’avaient pas la force de dresser leurs tentes, s’endormaient où ils tombaient, comme des masses. D’ailleurs, pour manger, il aurait fallu une distribution de l’intendance ; et l’intendance, qui attendait le 7e corps à la Besace, n’était pas à Oches. Dans l’abandon et le relâchement de tout, on ne sonnait même plus au caporal. Se ravitaillait qui pouvait. À partir de ce moment, il n’y eut plus de distributions, les soldats durent vivre sur les provisions qu’ils étaient censés avoir dans leurs sacs ; et les sacs étaient vides, bien peu y trouvèrent une croûte, les miettes de l’abondance où ils avaient fini par vivre à Vouziers. On avait du café, les moins las burent encore du café sans sucre.
Lorsque Jean voulut partager, manger l’un de ses biscuits et donner l’autre à Maurice, il s’aperçut que celui-ci dormait profondément. Un instant, il songea à le réveiller ; puis, stoïquement, il remit les biscuits au fond de son sac, avec des soins infinis, comme s’il eût caché de l’or : lui, se contenta de café, ainsi que les camarades. Il avait exigé que la tente fût dressée, tous s’y étaient allongés, quand Loubet revint d’expédition, rapportant des carottes d’un champ voisin. Dans l’impossibilité de les faire cuire, ils les croquèrent crues ; mais elles exaspéraient leur faim, Pache en fut malade.
— Non, non, laissez-le dormir, dit Jean à Chouteau, qui secouait Maurice pour lui donner sa part.
— Ah ! dit Lapoulle, demain, quand nous serons à Angoulême, nous aurons du pain… J’ai eu un cousin militaire, à Angoulême. Bonne garnison.