— Nous avons vu les canons, affirma le Provençal. Et il faut que ces bougres-là soient des enragés, pour les risquer dans les chemins de la forêt, où l’on enfonce jusqu’au mollet, à cause de la pluie de ces derniers jours.
— Quelqu’un les guide, c’est sûr, déclara l’ancien huissier.
Mais le général, depuis Vouziers, ne croyait plus à la concentration des deux armées allemandes, dont on lui avait, disait-il, rebattu les oreilles. Et il ne jugea même pas à propos de faire conduire les francs-tireurs au chef du 7e corps, à qui du reste ceux-ci croyaient avoir parlé en sa personne. Si l’on avait écouté tous les paysans, tous les rôdeurs, qui apportaient de prétendus renseignements, on n’aurait plus fait un pas, sans être jeté à droite ou à gauche, dans des aventures impossibles. Cependant, il ordonna aux trois hommes de rester et d’accompagner la colonne, puisqu’ils connaissaient le pays.
— Tout de même, dit Jean à Maurice, comme ils revenaient plier la tente, ce sont trois bons bougres, d’avoir fait quatre lieues à travers champs pour nous prévenir.
Le jeune homme en convint, et il leur donnait raison, connaissant le pays, lui aussi, tourmenté d’une mortelle inquiétude, à l’idée de savoir les Prussiens dans les bois de Dieulet, en branle vers Sommauthe et Beaumont. Il s’était assis, harassé déjà, avant d’avoir marché, l’estomac vide, le cœur serré d’angoisse, à l’aube de cette journée qu’il sentait devoir être affreuse.
Désespéré de le voir si pâle, le caporal lui demanda paternellement :
— Ça ne va toujours pas, hein ? Est-ce que c’est ton pied encore ?
Maurice dit non, de la tête. Son pied allait tout à fait mieux, dans les larges souliers.
— Alors, tu as faim ?