Page:Zola - La Débâcle.djvu/143

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dées, escarpées, tandis que des bois, à droite, descendent les pentes plus douces. Le soleil avait reparu, il faisait très chaud, dans cette vallée étroite, d’une solitude lourde. Après la Berlière, que domine un calvaire grand et triste, il n’y a plus une ferme, plus une âme, plus une bête paissant dans les prés. Et les hommes, si las déjà et si affamés la veille, ayant à peine dormi et n’ayant rien mangé, tiraient déjà la jambe, sans courage, débordant d’une colère sourde.

Puis, brusquement, comme on faisait halte, au bord de la route, le canon tonna, vers la droite. Les coups étaient si nets, si profonds, que le combat ne devait pas être à plus de deux lieues. Sur ces hommes las de se replier, énervés par l’attente, l’effet fut extraordinaire. Tous, debout, frémissaient, oubliant leur fatigue : pourquoi ne marchait-on pas ? ils voulaient se battre, se faire casser la tête, plutôt que de continuer à fuir ainsi à la débandade, sans savoir où, ni pourquoi.

Le général Bourgain-Desfeuilles venait précisément de monter, à droite, sur un mamelon, emmenant avec lui le colonel de Vineuil, afin de reconnaître le pays. On les voyait là-haut, entre deux petits bois, leurs lorgnettes braquées ; et, tout de suite, ils dépêchèrent un aide de camp qui se trouvait avec eux, pour dire qu’on leur envoyât les francs-tireurs, s’ils étaient là encore. Quelques hommes, Jean, Maurice, d’autres, accompagnèrent ceux-ci, dans le cas où l’on aurait besoin d’une aide quelconque.

Dès que le général aperçut Sambuc, il cria :

— Quel fichu pays, avec ces côtes et ces bois continuels !… Vous entendez, où est-ce, où se bat-on ?

Sambuc, que Ducat et Cabasse ne lâchaient pas d’une semelle, écouta, examina un instant sans répondre le vaste horizon. Et Maurice, près de lui, regardait également, saisi de l’immense déroulement des vallons et des