et des idées vagues de commerce s’ébauchaient dans son crâne d’avare patient et rusé.
Maurice, qui se rassasiait, causa le premier.
— Et ma sœur Henriette, y a-t-il longtemps que vous l’avez vue ?
Le vieux continuait de marcher, avec des coups d’œil sur Jean, en train d’engloutir d’énormes bouchées de pain ; et, sans se presser, comme après une longue réflexion :
— Henriette, oui, l’autre mois, à Sedan… Mais j’ai aperçu Weiss, son mari, ce matin. Il accompagnait son patron, monsieur Delaherche, qui l’avait pris avec lui dans sa voiture, pour aller voir passer l’armée à Mouzon, histoire simplement de s’amuser…
Une ironie profonde passa sur le visage fermé du paysan.
— Peut-être bien tout de même qu’ils l’auront trop vue, l’armée, et qu’ils ne se sont pas amusés beaucoup ; car, dès trois heures, on ne pouvait plus circuler sur les routes, tant elles étaient encombrées de soldats qui fuyaient.
De la même voix tranquille et comme indifférente, il donna quelques détails sur la défaite du 5e corps, surpris à Beaumont au moment de faire la soupe, forcé de se replier, culbuté jusqu’à Mouzon par les Bavarois. Des soldats débandés, fous de panique, qui traversaient Remilly, lui avaient crié que de Failly venait encore de les vendre à Bismarck. Et Maurice songeait à ces marches affolées des deux derniers jours, à ces ordres du maréchal de Mac-Mahon hâtant la retraite, voulant passer la Meuse à tout prix, lorsqu’on avait perdu en incompréhensibles hésitations tant de journées précieuses. Il était trop tard. Sans doute le maréchal, qui s’était emporté en trouvant à Oches le 7e corps, qu’il croyait à la Besace, avait dû être convaincu que le 5e corps campait déjà à Mouzon, lorsque celui-ci, s’attardant à Beaumont, s’y laissait écraser. Mais qu’exiger de troupes mal commandées, démoralisées par l’attente et la fuite, mourantes de faim et de fatigue ?