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Page:Zola - La Débâcle.djvu/191

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pieds, pour poser près de lui, sur la table, une carafe et un verre oubliés. Elle sembla rester là quelques secondes, à les regarder tous deux, son frère et lui, avec son tranquille sourire, d’une infinie bonté. Puis, elle se dissipa. Et il dormait dans les draps blancs, anéanti.

Des heures, des années coulèrent. Jean et Maurice n’étaient plus, sans un rêve, sans la conscience du petit battement de leurs veines. Dix ans ou dix minutes, le temps avait cessé de compter ; et c’était comme la revanche du corps surmené, se satisfaisant dans la mort de tout leur être. Brusquement, secoués du même sursaut, tous deux s’éveillèrent. Quoi donc ? que se passait-il, depuis combien de temps dormaient-ils ? La même clarté pâle tombait de la haute fenêtre. Ils étaient brisés, les jointures raidies, les membres plus las, la bouche plus amère qu’en se couchant. Heureusement qu’ils ne devaient avoir dormi qu’une heure. Et, sur la même chaise, ils ne s’étonnèrent pas d’apercevoir Weiss, qui semblait attendre leur réveil, dans la même attitude accablée.

— Fichtre ! bégaya Jean, faut pourtant se lever et rejoindre le régiment avant midi.

Il sauta sur le carreau avec un léger cri de douleur, il s’habilla.

— Avant midi, répéta Weiss. Vous savez qu’il est sept heures du soir et que vous dormez depuis douze heures environ.

Sept heures, bon Dieu ! Ce fut un effarement. Jean, déjà tout vêtu, voulait courir, tandis que Maurice, encore au lit, se lamentait de ne pouvoir plus remuer les jambes. Comment retrouver les camarades ? l’armée n’avait-elle pas filé ? Et tous deux se fâchaient, on n’aurait pas dû les laisser dormir si longtemps. Mais Weiss eut un geste de désespérance.

— Pour ce qu’on a fait, mon Dieu ! vous avez aussi bien fait de rester couchés.