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Page:Zola - La Débâcle.djvu/201

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Weiss et Delaherche accompagnèrent les deux soldats jusqu’au plateau de Floing.

— Adieu ! dit Maurice, en embrassant son beau-frère.

— Non, non ! au revoir, que diable ! s’écria gaiement le fabricant.

Jean, tout de suite, avec son flair, trouva le 106e, dont les tentes s’alignaient sur la pente du plateau, derrière le cimetière. La nuit était presque tombée ; mais on distinguait encore, par grandes masses, l’amas sombre des toitures de la ville, puis, au delà, Balan et Bazeilles, dans les prairies qui se déroulaient jusqu’à la ligne des coteaux, de Remilly à Frénois ; tandis que, sur la gauche, s’étendait la tache noire du bois de la Garenne, et que, sur la droite, en bas, luisait le large ruban pâle de la Meuse. Un instant, Maurice regarda cet immense horizon s’anéantir dans les ténèbres.

— Ah ! voici le caporal ! dit Chouteau. Est-ce qu’il revient de la distribution ?

Il y eut une rumeur. Toute la journée, des hommes s’étaient ralliés, les uns seuls, les autres par petits groupes, dans une telle bousculade, que les chefs avaient renoncé même à demander des explications. Ils fermaient les yeux, heureux encore d’accepter ceux qui voulaient bien revenir.

Le capitaine Beaudoin, d’ailleurs, arrivait à peine, et le lieutenant Rochas n’avait ramené que vers deux heures la compagnie débandée, réduite des deux tiers. Maintenant, elle se retrouvait à peu près au complet. Quelques soldats étaient ivres, d’autres restaient à jeun, n’ayant pu se procurer un morceau de pain ; et les distributions, une fois de plus, venaient de manquer. Loubet, pourtant, s’était ingénié à faire cuire des choux, arrachés dans un jardin du voisinage ; mais il n’avait ni sel ni graisse, les estomacs continuaient à crier famine.

— Voyons, mon caporal, vous qui êtes un malin ! répé-