Aller au contenu

Page:Zola - La Débâcle.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

route et les rues ; des garnisons de quelques hommes occupaient toutes les maisons ; chaque ruelle, chaque jardin se trouvait transformé en forteresse. Et, dès trois heures, dans la nuit d’encre, les troupes, éveillées sans bruit, étaient à leurs postes de combat, les chassepots fraîchement graissés, les cartouchières emplies des quatre-vingt-dix cartouches réglementaires. Aussi, le premier coup de canon de l’ennemi n’avait-il surpris personne, et les batteries françaises, établies en arrière, entre Balan et Bazeilles, s’étaient-elles mises aussitôt à répondre, pour faire acte de présence, car elles tiraient simplement au jugé, dans le brouillard.

— Vous savez, reprit Delaherche, que la teinturerie sera vigoureusement défendue… J’ai toute une section. Venez donc voir.

On avait, en effet, posté là quarante et quelques soldats de l’infanterie de marine, à la tête desquels était un lieutenant, un grand garçon blond, fort jeune, l’air énergique et têtu. Déjà, ses hommes avaient pris possession du bâtiment, les uns pratiquant des meurtrières dans les volets du premier étage, sur la rue, les autres crénelant le mur bas de la cour, qui dominait les prairies, par derrière.

Et ce fut au milieu de cette cour que Delaherche et Weiss trouvèrent le lieutenant, regardant, s’efforçant de voir au loin, dans la brume matinale.

— Le fichu brouillard ! murmura-t-il. On ne va pas pouvoir se battre à tâtons.

Puis, après un silence, sans transition apparente :

— Quel jour sommes-nous donc, aujourd’hui ?

— Jeudi, répondit Weiss.

— Jeudi, c’est vrai… Le diable m’emporte ! on vit sans savoir, comme si le monde n’existait plus !

Mais, à ce moment, dans le grondement du canon qui ne cessait pas, éclata une vive fusillade, au bord des prairies mêmes, à cinq ou six cents mètres. Et il y eut