Page:Zola - La Débâcle.djvu/213

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en s’exposant le moins possible. D’ailleurs, une puissante artillerie les soutenait, l’air frais et pur s’emplissait de sifflements d’obus. Il leva les yeux, il vit que la batterie de Pont-Maugis n’était pas la seule à tirer sur Bazeilles : deux autres, installées à mi-côte du Liry, avaient ouvert leur feu, battant le village, balayant même au delà les terrains nus de la Moncelle, où étaient les réserves du 12e corps, et jusqu’aux pentes boisées de Daigny, qu’une division du 1er corps occupait. Toutes les crêtes de la rive gauche, du reste, s’enflammaient. Les canons semblaient pousser du sol, c’était comme une ceinture sans cesse allongée : une batterie à Noyers qui tirait sur Balan, une batterie à Wadelincourt qui tirait sur Sedan, une batterie à Frénois, en dessous de la Marfée, une formidable batterie, dont les obus passaient par-dessus la ville, pour aller éclater parmi les troupes du 7e corps, sur le plateau de Floing. Ces coteaux qu’il aimait, cette suite de mamelons qu’il avait toujours crus là pour le plaisir de la vue, fermant au loin la vallée d’une verdure si gaie, Weiss ne les regardait plus qu’avec une angoisse terrifiée, devenus tout d’un coup l’effrayante et gigantesque forteresse, en train d’écraser les inutiles fortifications de Sedan.

Une légère chute de plâtras lui fit lever la tête. C’était une balle qui venait d’écorner sa maison, dont il apercevait la façade, par-dessus le mur mitoyen. Il en fut très contrarié, il gronda :

— Est-ce qu’ils vont me la démolir, ces brigands !

Mais, derrière lui, un autre petit bruit mou l’étonna. Et, comme il se retournait, il vit un soldat, frappé en plein cœur, qui tombait sur le dos. Les jambes eurent une courte convulsion, la face resta jeune et tranquille, foudroyée. C’était le premier mort, et il fut surtout bouleversé par le fracas du chassepot, rebondissant sur le pavé de la cour.