Page:Zola - La Débâcle.djvu/242

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vant son nez, pendant que Pache, tâtant le scapulaire qu’il portait, l’aurait voulu étendre, pour s’en faire une cuirasse sur toute la poitrine.

Rochas, qui était resté debout, s’écria, de sa voix goguenarde :

— Mes enfants, les obus, on ne vous défend pas de les saluer. Quant aux balles, c’est inutile, il y en a trop !

À ce moment, un éclat d’obus vint fracasser la tête d’un soldat, au premier rang. Il n’y eut pas même de cri : un jet de sang et de cervelle, et ce fut tout.

— Pauvre bougre ! dit simplement le sergent Sapin, très calme et très pâle. À un autre !

Mais on ne s’entendait plus, Maurice souffrait surtout de l’effroyable vacarme. La batterie voisine tirait sans relâche, d’un grondement continu dont la terre tremblait ; et les mitrailleuses, plus encore, déchiraient l’air, intolérables. Est-ce qu’on allait rester ainsi longtemps, couchés au milieu des choux ? On ne voyait toujours rien, on ne savait rien. Impossible d’avoir la moindre idée de la bataille : était-ce même une vraie, une grande bataille ? Au-dessus de la ligne rase des champs, Maurice ne reconnaissait que le sommet arrondi et boisé du Hattoy, très loin, désert encore. D’ailleurs, à l’horizon, pas un Prussien ne se montrait. Seules, des fumées s’élevaient, flottaient un instant dans le soleil. Et, comme il tournait la tête, il fut très surpris d’apercevoir, au fond d’un vallon écarté, protégé par des pentes rudes, un paysan qui labourait sans hâte, poussant sa charrue attelée d’un grand cheval blanc. Pourquoi perdre un jour ? Ce n’était pas parce qu’on se battait, que le blé cesserait de croître et le monde de vivre.

Dévoré d’impatience, Maurice se mit debout. Dans un regard, il revit les batteries de Saint-Menges qui les canonnaient, couronnées de vapeurs fauves, et il revit sur-