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Page:Zola - La Débâcle.djvu/243

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tout, venant de Saint-Albert, le chemin noir de Prussiens, un pullulement indistinct de horde envahissante. Déjà, Jean le saisissait aux jambes, le ramenait violemment par terre.

— Es-tu fou ? tu vas y rester !

Et, de son côté, Rochas jurait.

— Voulez-vous bien vous coucher ! Qui est-ce qui m’a fichu des gaillards qui se font tuer, quand ils n’en ont pas l’ordre !

— Mon lieutenant, dit Maurice, vous n’êtes pas couché, vous !

— Ah ! moi, c’est différent, il faut que je sache.

Le capitaine Beaudoin, lui aussi, était bravement debout. Mais il ne desserrait pas les lèvres, sans lien avec ses hommes, et il semblait ne pouvoir tenir en place, piétinant d’un bout du champ à l’autre.

Toujours l’attente, rien n’arrivait. Maurice étouffait sous le poids de son sac, qui lui écrasait le dos et la poitrine, dans cette position couchée, si pénible à la longue. On avait bien recommandé aux hommes de ne jeter leur sac qu’à la dernière extrémité.

— Dis donc, est-ce que nous allons passer la journée comme ça ? finit-il par demander à Jean.

— Possible… À Solférino, c’était dans un champ de carottes, nous y sommes restés cinq heures, le nez par terre.

Puis, il ajouta, en garçon pratique :

— Pourquoi te plains-tu ? On n’est pas mal ici. Il sera toujours temps de s’exposer davantage. Va, chacun son tour. Si l’on se faisait tous tuer au commencement, il n’y en aurait plus pour la fin.

— Ah ! interrompit brusquement Maurice, vois donc cette fumée, sur le Hattoy… Ils ont pris le Hattoy, nous allons la danser belle !

Et, pendant un instant, sa curiosité anxieuse, où entrait