Page:Zola - La Débâcle.djvu/269

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Les yeux fixes, élargis, Henriette le regardait. Il y eut un silence. Puis, tranquillement, elle se décida.

— C’est bon, j’y vais.

Elle y allait, comment ? Mais c’était impossible, c’était fou ! Delaherche reparlait des balles, des obus qui balayaient la route. Gilberte lui avait repris les mains pour la retenir, tandis que Madame Delaherche s’épuisait aussi à lui démontrer l’aveugle témérité de son projet. De son air doux et simple, elle répéta :

— Non, c’est inutile, j’y vais.

Et elle s’obstina, n’accepta que la dentelle noire que Gilberte avait sur la tête. Espérant encore la convaincre, Delaherche finit par déclarer qu’il l’accompagnerait, au moins jusqu’à la porte de Balan. Mais il venait d’apercevoir le factionnaire qui, au milieu de la bousculade causée par l’installation de l’ambulance, n’avait pas cessé de marcher à petits pas devant la remise, où se trouvait enfermé le trésor du 7e corps ; et il se souvint, il fut pris de peur, il alla s’assurer d’un coup d’œil que les millions étaient toujours là. Henriette, déjà, s’engageait sous le porche.

— Attendez-moi donc ! Vous êtes aussi enragée que votre mari, ma parole !

D’ailleurs, une nouvelle voiture d’ambulance entrait, ils durent la laisser passer. Celle-ci, plus petite, à deux roues seulement, contenait deux grands blessés, couchés sur des sangles. Le premier qu’on descendit, avec toutes sortes de précautions, n’était plus qu’une masse de chairs sanglantes, une main cassée, le flanc labouré par un éclat d’obus. Le second avait la jambe droite broyée. Et tout de suite Bouroche, faisant placer celui-ci sur la toile cirée du matelas, commença la première opération, au milieu du continuel va-et-vient des infirmiers et de ses aides. Madame Delaherche et Gilberte, assises près de la pelouse, roulaient des bandes.