Page:Zola - La Débâcle.djvu/288

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qu’on aurait dit un ouragan de grêle. Pendant près de dix minutes, cette fusillade ne cessa pas, trouant le plâtre, sans faire grand mal. Mais un des hommes que le capitaine avait pris avec lui dans le grenier, ayant commis l’imprudence de se montrer à une lucarne, fut tué raide, d’une balle en plein front.

— Nom d’un chien ! un de moins ! gronda le capitaine. Méfiez-vous donc, nous ne sommes pas assez pour nous faire tuer par plaisir !

Lui-même avait pris un fusil, et il tirait, abrité derrière un volet. Mais Laurent, le garçon jardinier, faisait surtout son admiration. À genoux, le canon de son chassepot appuyé dans l’étroite fente d’une meurtrière, comme à l’affût, il ne lâchait un coup qu’en toute certitude ; et il en annonçait même le résultat à l’avance.

— Au petit officier bleu, là-bas, dans le cœur… À l’autre, plus loin, le grand sec, entre les deux yeux… Au gros qui a une barbe rousse et qui m’embête, dans le ventre…

Et, chaque fois, l’homme tombait, foudroyé, frappé à l’endroit qu’il désignait ; et lui continuait paisiblement, ne se hâtait pas, ayant de quoi faire, disait-il, car il lui aurait fallu du temps, pour les tuer tous de la sorte, un à un.

— Ah ! si j’avais des yeux ! répétait furieusement Weiss.

Il venait de casser ses lunettes, il en était désespéré. Son binocle lui restait, mais il n’arrivait pas à le faire tenir solidement sur son nez, dans la sueur qui lui inondait la face ; et, souvent, il tirait au hasard, enfiévré, les mains tremblantes. Toute une passion croissante emportait son calme ordinaire.

— Ne vous pressez pas, ça ne sert absolument à rien, disait Laurent. Tenez, visez-le avec soin, celui qui n’a plus de casque, au coin de l’épicier… Mais c’est très