Page:Zola - La Débâcle.djvu/294

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Weiss, stupide, la regardait. Elle ! sa femme, désirée si longtemps, adorée d’une tendresse idolâtre ! Et un frémissement le réveilla, éperdu. Qu’avait-il fait ? pourquoi était-il resté, à tirer des coups de fusil, au lieu d’aller la rejoindre, ainsi qu’il l’avait juré ? Dans un éblouissement, il voyait son bonheur perdu, la séparation violente, à jamais. Puis, le sang qu’elle avait au front, le frappa ; et la voix machinale, bégayante :

— Est-ce que tu es blessée ?… C’est fou d’être venue…

D’un geste emporté, elle l’interrompit.

— Oh ! moi, ce n’est rien, une égratignure… Mais toi, toi ! pourquoi te gardent-ils ? Je ne veux pas qu’ils te tuent !

L’officier se débattait au milieu de la route encombrée, pour que le peloton eût un peu de recul. Quand il aperçut cette femme au cou d’un des prisonniers, il reprit violemment, en français :

— Oh ! non, pas de bêtises, hein !… D’où sortez-vous ? Que voulez-vous ?

— Je veux mon mari.

— Votre mari, cet homme-là ?… Il a été condamné, justice doit être faite.

— Je veux mon mari.

— Voyons, soyez raisonnable… Écartez-vous, nous n’avons pas envie de vous faire du mal.

— Je veux mon mari.

Renonçant alors à la convaincre, l’officier allait donner l’ordre de l’arracher des bras du prisonnier, lorsque Laurent, silencieux jusque-là, l’air impassible, se permit d’intervenir.

— Dites donc, capitaine, c’est moi qui vous ai démoli tant de monde, et qu’on me fusille, ça va bien. D’autant plus que je n’ai personne, ni mère, ni femme, ni enfant… Tandis que monsieur est marié… Dites, lâchez-le donc, puis vous me réglerez mon affaire…

Hors de lui, le capitaine hurla :