Page:Zola - La Débâcle.djvu/295

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— En voilà des histoires ! Est-ce qu’on se fiche de moi ?… Un homme de bonne volonté pour emporter cette femme !

Il dut redire cet ordre en allemand. Et un soldat s’avança, un Bavarois trapu, à l’énorme tête embroussaillée de barbe et de cheveux roux, sous lesquels on ne distinguait qu’un large nez carré et que de gros yeux bleus. Il était souillé de sang, effroyable, tel qu’un de ces ours des cavernes, une de ces bêtes poilues toutes rouges de la proie dont elles viennent de faire craquer les os. Henriette répétait, dans un cri déchirant :

— Je veux mon mari, tuez-moi avec mon mari.

Mais l’officier s’appliquait de grands coups de poing dans la poitrine, en disant que, lui, n’était pas un bourreau, que s’il y en avait qui tuaient les innocents, ce n’était pas lui. Elle n’avait pas été condamnée, il se couperait la main, plutôt que de toucher à un cheveu de sa tête.

Alors, comme le Bavarois s’approchait, Henriette se colla au corps de Weiss, de tous ses membres, éperdument.

— Oh ! mon ami, je t’en supplie, garde-moi, laisse-moi mourir avec toi…

Weiss pleurait de grosses larmes ; et, sans répondre, il s’efforçait de détacher, de ses épaules et de ses reins, les doigts convulsifs de la malheureuse.

— Tu ne m’aimes donc plus, que tu veux mourir sans moi… Garde-moi, ça les fatiguera, ils nous tueront ensemble.

Il avait dégagé une des petites mains, il la serrait contre sa bouche, il la baisait, tandis qu’il travaillait pour faire lâcher prise à l’autre.

— Non, non ! garde-moi… Je veux mourir…

Enfin, à grand’peine, il lui tenait les deux mains. Muet jusque-là, ayant évité de parler, il ne dit qu’un mot :

— Adieu, chère femme.

Et, déjà, de lui-même, il l’avait jetée entre les bras du Bavarois, qui l’emportait. Elle se débattait, criait, tandis