V
Sur le plateau de l’Algérie, à dix heures, la compagnie Beaudoin était toujours couchée parmi les choux, dans le champ dont elle n’avait pas bougé depuis le matin. Les feux croisés des batteries du Hattoy et de la presqu’île d’Iges, qui redoublaient de violence, venaient encore de lui tuer deux hommes ; et aucun ordre de marcher en avant n’arrivait : allait-on passer la journée là, à se laisser mitrailler, sans se battre ?
Même les hommes n’avaient plus le soulagement de décharger leurs chassepots. Le capitaine Beaudoin était parvenu à faire cesser le feu, cette furieuse et inutile fusillade contre le petit bois d’en face, où pas un Prussien ne paraissait être resté. Le soleil devenait accablant, on brûlait, ainsi allongé par terre, sous le ciel en flammes.
Jean, qui se tourna, fut inquiet de voir que Maurice avait laissé tomber sa tête, la joue contre le sol, les yeux fermés. Il était très pâle, la face immobile.
— Eh bien ! quoi donc ?
Mais, simplement, Maurice s’était endormi. L’attente, la fatigue, l’avaient terrassé, malgré la mort qui volait de toutes parts. Et il s’éveilla brusquement, ouvrit de grands yeux calmes, où reparut aussitôt l’effarement trouble de la bataille. Jamais il ne put savoir combien de temps il avait sommeillé. Il lui semblait sortir d’un néant infini et délicieux.
— Tiens ! est-ce drôle, murmura-t-il, j’ai dormi !… Ah ! ça m’a fait du bien.