Page:Zola - La Débâcle.djvu/299

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En effet, il sentait moins, à ses tempes et à ses côtes, le douloureux serrement, cette ceinture de la peur dont craquent les os. Il plaisanta Lapoulle qui, depuis la disparition de Chouteau et de Loubet, s’inquiétait d’eux, parlait d’aller les chercher. Une riche idée, pour se mettre à l’abri derrière un arbre et fumer une pipe ! Pache prétendait qu’on les avait gardés à l’ambulance, où les brancardiers manquaient. Encore un métier pas commode, que d’aller ramasser les blessés, sous le feu ! Puis, tourmenté des superstitions de son village, il ajouta que ça ne portait pas chance de toucher aux morts : on en mourait.

— Taisez-vous donc, tonnerre de dieu ! cria le lieutenant Rochas. Est-ce qu’on meurt !

Sur son grand cheval, le colonel de Vineuil avait tourné la tête. Et il eut un sourire, le seul depuis le matin. Puis, il retomba dans son immobilité, toujours impassible sous les obus, attendant des ordres.

Maurice, qui s’intéressait maintenant aux brancardiers, suivait leurs recherches, dans les plis de terrain. Il devait y avoir, au bout du chemin creux, derrière un talus, une ambulance volante de premiers secours, dont le personnel s’était mis à explorer le plateau. Rapidement, on dressait une tente, tandis qu’on déballait du fourgon le matériel nécessaire, les quelques outils, les appareils, le linge, de quoi procéder à des pansements hâtifs, avant de diriger les blessés sur Sedan, au fur et à mesure qu’on pouvait se procurer des voitures de transport, qui bientôt allaient manquer. Il n’y avait là que des aides. Et c’étaient surtout les brancardiers qui faisaient preuve d’un héroïsme têtu et sans gloire. On les voyait, vêtus de gris, avec la croix rouge de leur casquette et de leur brassard, se risquer lentement, tranquillement, sous les projectiles, jusqu’aux endroits où étaient tombés des hommes. Ils se traînaient sur les genoux, tâchaient de