Page:Zola - La Débâcle.djvu/300

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profiter des fossés, des haies, de tous les accidents de terrain, sans mettre de la vantardise à s’exposer inutilement. Puis, dès qu’ils trouvaient des hommes par terre, leur dure besogne commençait, car beaucoup étaient évanouis, et il fallait reconnaître les blessés des morts. Les uns étaient restés sur la face, la bouche dans une mare de sang, en train d’étouffer ; les autres avaient la gorge pleine de boue, comme s’ils venaient de mordre la terre ; d’autres gisaient jetés pêle-mêle, en tas, les bras et les jambes contractés, la poitrine écrasée à demi. Soigneusement, les brancardiers dégageaient, ramassaient ceux qui respiraient encore, allongeant leurs membres, leur soulevant la tête, qu’ils nettoyaient le mieux possible. Chacun d’eux avait un bidon d’eau fraîche, dont il était très avare. Et souvent on pouvait ainsi les voir à genoux, pendant de longues minutes, s’efforçant de ranimer un blessé, attendant qu’il eût rouvert les yeux.

À une cinquantaine de mètres, sur la gauche, Maurice en regarda un qui tâchait de reconnaître la blessure d’un petit soldat, dont une manche laissait couler un filet de sang, goutte à goutte. Il y avait là une hémorragie, que l’homme à la croix rouge finit par trouver et par arrêter, en comprimant l’artère. Dans les cas pressants, ils donnaient de la sorte les premiers soins, évitaient les faux mouvements pour les fractures, bandaient et immobilisaient les membres, de façon à rendre sans danger le transport. Et ce transport enfin devenait la grande affaire : ils soutenaient ceux qui pouvaient marcher, portaient les autres, dans leurs bras, ainsi que des petits enfants, ou bien à califourchon sur leur dos, les mains ramenées autour de leur cou ; ou bien encore, ils se mettaient à deux, à trois, à quatre, selon la difficulté, leur faisaient un siège de leurs poings unis, les emportaient couchés, par les jambes et par les épaules. En dehors des brancards réglementaires, c’étaient aussi toutes sortes d’inven-