Page:Zola - La Débâcle.djvu/33

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de suite, avant d’avoir commencé. Alors, quoi ? le fusil pouvait aller rejoindre le sac. Et, dans une rage imbécile, au milieu de ricanements de fous qui s’amusent, les fusils volaient, le long de la queue sans fin des traînards, épars au loin dans la campagne.

Loubet, avant de se débarrasser du sien, lui fit exécuter un beau moulinet, comme à une canne de tambour-major. Lapoulle, en voyant tous les camarades jeter le leur, dut croire que cela rentrait dans la manœuvre ; et il imita le geste. Mais Pache, dans la confuse conscience du devoir, qu’il devait à son éducation religieuse, refusa d’en faire autant, couvert d’injures par Chouteau, qui le traitait d’enfant de curé.

— En voilà un cafard !… Parce que sa vieille paysanne de mère lui a fait avaler le bon Dieu tous les dimanches !… Va donc servir la messe, c’est lâche de ne pas être avec les camarades !

Très sombre, Maurice marchait en silence, la tête penchée sous le ciel de feu. Il n’avançait plus que dans un cauchemar d’atroce lassitude, halluciné de fantômes, comme s’il allait à un gouffre, là-bas, devant lui ; et c’était une dépression de toute sa culture d’homme instruit, un abaissement qui le tirait à la bassesse des misérables dont il était entouré.

— Tenez ! dit-il brusquement à Chouteau, vous avez raison !

Et Maurice avait déjà posé son fusil sur un tas de pierres, lorsque Jean, qui tentait vainement de s’opposer à cet abandon abominable des armes, l’aperçut. Il se précipita.

— Reprenez votre fusil tout de suite, tout de suite, entendez-vous !

Un flot de terrible colère était monté soudain à la face de Jean. Lui, si calme d’habitude, toujours porté à la conciliation, avait des yeux de flamme, une voix tonnante