Page:Zola - La Débâcle.djvu/34

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d’autorité. Ses hommes, qui ne l’avaient jamais vu comme ça, s’arrêtèrent, surpris.

— Reprenez votre fusil tout de suite, ou vous aurez affaire à moi !

Maurice, frémissant, ne laissa tomber qu’un mot, qu’il voulait rendre outrageux.

— Paysan !

— Oui, c’est bien ça, je suis un paysan, tandis que vous êtes un monsieur, vous !… Et c’est pour ça que vous êtes un cochon, oui ! un sale cochon. Je ne vous l’envoie pas dire.

Des huées s’élevaient, mais le caporal poursuivait avec une force extraordinaire :

— Quand on a de l’instruction, on le fait voir… Si nous sommes des paysans et des brutes, vous nous devriez l’exemple à tous, puisque vous en savez plus long que nous… Reprenez votre fusil, nom de Dieu ! ou je vous fais fusiller en arrivant à l’étape.

Dompté, Maurice avait ramassé le fusil. Des larmes de rage lui voilaient les yeux. Il continua sa marche en chancelant comme un homme ivre, au milieu des camarades qui, à présent, ricanaient de ce qu’il avait cédé. Ah ! ce Jean ! il le haïssait d’une inextinguible haine, frappé au cœur de cette leçon si dure, qu’il sentait juste. Et, Chouteau ayant grogné, à son côté, que des caporaux de cette espèce, on attendait un jour de bataille pour leur loger une balle dans la tête, il vit rouge, il se vit nettement cassant le crâne de Jean, derrière un mur.

Mais il y eut une diversion. Loubet remarqua que Pache, pendant la querelle, avait, lui aussi, abandonné enfin son fusil, doucement, en le couchant au bas d’un talus. Pourquoi ? Il n’essaya point de l’expliquer, riant en dessous, de la façon gourmande et un peu honteuse d’un garçon sage à qui on reproche son premier péché. Très gai, ragaillardi, il marcha les bras ballants. Et, par