Page:Zola - La Débâcle.djvu/426

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gnaient que les armes, si elles étaient recueillies par les paysans de la frontière, ne fussent portées en Belgique, pour rentrer de là en France. Et toute une nuée de pauvres diables étaient à la chasse des fusils, cherchant des cinq sous, fouillant les herbes, pareils à ces femmes qui, la taille ployée, vont cueillir des pissenlits dans les prés.

— Fichue besogne ! grogna Prosper.

— Dame ! faut bien manger, répondit le garçon. Je ne vole personne.

Puis, comme il n’était pas du pays et qu’il ne pouvait donner aucun renseignement, il se contenta de montrer de la main une petite ferme voisine, où il avait vu du monde.

Prosper le remerciait et s’éloignait pour rejoindre Silvine, lorsqu’il aperçut un chassepot à moitié enterré dans un sillon. D’abord, il se garda bien de l’indiquer. Et, brusquement, il revint, il cria comme malgré lui :

— Tiens ! il y en a un là, ça te fera cinq sous de plus !

Silvine, en approchant de la ferme, remarqua d’autres paysans, en train de creuser à la pioche de longues tranchées. Mais ceux-là étaient sous les ordres directs d’officiers prussiens, qui, une simple badine aux doigts, raides et muets, surveillaient l’ouvrage. On avait ainsi réquisitionné les habitants des villages pour enterrer les morts, dans la crainte que le temps pluvieux ne hâtât la décomposition. Deux chariots de cadavres étaient là, une équipe les déchargeait, les couchait rapidement côte à côte, en un rang pressé, sans les fouiller ni même les regarder au visage ; tandis que trois hommes, armés de grandes pelles, suivaient, recouvraient le rang d’une couche de terre si mince, que déjà, sous les averses, des gerçures fendillaient le sol. Avant quinze jours, tant ce travail était hâtif, la peste soufflerait par toutes ces fentes. Et Silvine ne put s’empêcher de s’arrêter au bord de la fosse, de les dévisager, à mesure qu’on les apportait, ces misérables