morts. Elle frémissait d’une horrible crainte, avec l’idée, à chaque visage sanglant, qu’elle reconnaissait Honoré. N’était-ce pas ce malheureux dont l’œil gauche manquait ? Ou celui-ci peut-être qui avait les mâchoires fendues ? Si elle ne se hâtait pas de le découvrir, sur ce plateau vague et sans fin, certainement qu’on allait le lui prendre et l’enfouir dans le tas, parmi les autres.
Aussi courut-elle pour rejoindre Prosper, qui avait marché jusqu’à la porte de la ferme, avec l’âne.
— Mon Dieu ! où est-ce donc ?… Demandez, interrogez !
Dans la ferme, il n’y avait que des Prussiens, en compagnie d’une servante et de son enfant, revenus des bois, où ils avaient failli mourir de faim et de soif. C’était un coin de patriarcale bonhomie, d’honnête repos, après les fatigues des jours précédents. Des soldats brossaient soigneusement leurs uniformes, étendus sur les cordes à sécher le linge. Un autre achevait une habile reprise à son pantalon, tandis que le cuisinier du poste, au milieu de la cour, avait allumé un grand feu, sur lequel bouillait la soupe, une grosse marmite qui exhalait une bonne odeur de choux et de lard. Déjà, la conquête s’organisait avec une tranquillité, une discipline parfaites. On aurait dit des bourgeois rentrés chez eux, fumant leurs longues pipes. Sur un banc, à la porte, un gros homme roux avait pris dans ses bras l’enfant de la servante, un bambin de cinq à six ans ; et il le faisait sauter, il lui disait en allemand des mots de caresse, très amusé de voir l’enfant rire de cette langue étrangère, aux rudes syllabes, qu’il ne comprenait pas.
Tout de suite, Prosper tourna le dos, dans la crainte de quelque nouvelle mésaventure. Mais ces Prussiens-là étaient décidément du brave monde. Ils souriaient au petit âne, ils ne se dérangèrent même pas pour demander à voir le laissez-passer.
Alors, ce fut une marche folle. Entre deux nuages, le