Bouillon où il venait de passer la première nuit d’exil, en route pour Wilhelmshoe.
D’un air grave, Jean interrompit Henriette.
— Alors, à cette heure, nous sommes en République ?… Tant mieux si ça nous aide à battre les Prussiens !
Mais il branlait la tête, on lui avait toujours fait peur de la République, lorsqu’il était paysan. Et puis, devant l’ennemi, ça ne lui semblait guère bon, de n’être pas d’accord. Enfin, il fallait bien qu’il vînt autre chose, puisque l’Empire était pourri décidément, et que personne n’en voulait plus.
Henriette acheva la lettre, qui finissait en signalant l’approche des Allemands. Le 13, le jour même où une délégation du gouvernement de la Défense nationale s’installait à Tours, on les avait vus, à l’est de Paris, s’avancer jusqu’à Lagny. Le 14 et le 15, ils étaient aux portes, à Créteil et à Joinville-le-Pont. Mais, le 18, le matin où il avait écrit, Maurice ne paraissait pas croire encore à la possibilité d’investir Paris complètement, repris d’une belle confiance, regardant le siège comme une tentative insolente et hasardée qui échouerait avant trois semaines, comptant sur les armées de secours que la province allait sûrement envoyer, sans parler de l’armée de Metz, en marche déjà, par Verdun et Reims. Et les anneaux de la ceinture de fer s’étaient rejoints, avaient bouclé Paris, et Paris maintenant, séparé du monde, n’était plus que la prison géante de deux millions de vivants, d’où ne venait qu’un silence de mort.
— Ah ! mon dieu ! murmura Henriette oppressée, combien de temps tout cela durera-t-il, et le reverrons-nous jamais !
Une rafale plia les arbres, au loin, fit gémir les vieilles charpentes de la ferme. Si l’hiver devait être dur, quelles souffrances pour les pauvres soldats, sans feu, sans pain, qui se battraient dans la neige !