Page:Zola - La Débâcle.djvu/506

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

maine de la rechute fut certainement pour Jean et pour Henriette la plus mélancolique de leur longue intimité forcée. La souffrance ne cesserait donc pas ? toujours le danger allait-il renaître, sans qu’on pût espérer la fin de tant de misères ? Leur pensée volait à chaque heure vers Maurice, dont ils n’avaient plus eu de nouvelles. On leur disait bien que d’autres recevaient des lettres, des billets minces apportés par des pigeons voyageurs. Sans doute, le coup de feu de quelque Allemand avait tué, au passage, dans le grand ciel libre, le pigeon qui portait leur joie et leur tendresse, à eux. Tout semblait se reculer, s’éteindre et disparaître, au fond de l’hiver précoce. Les bruits de la guerre ne leur parvenaient qu’après des retards considérables, les rares journaux que le docteur Dalichamp leur apportait encore, dataient souvent d’une semaine. Et leur tristesse était faite beaucoup de leur ignorance, de ce qu’ils ne savaient pas et de ce qu’ils devinaient, du long cri de mort qu’ils entendaient malgré tout, dans le silence de la campagne, autour de la ferme.

Un matin, le docteur arriva bouleversé, les mains tremblantes. Il tira un journal belge de sa poche, le jeta sur le lit, en s’écriant :

— Ah ! mes amis, la France est morte, Bazaine vient de trahir !

Jean, adossé contre deux oreillers, somnolent, se réveilla.

— Comment, de trahir ?

— Oui, il a livré Metz et l’armée. C’est le coup de Sedan qui recommence, et cette fois c’est le reste de notre chair et de notre sang.

Puis, reprenant le journal, lisant :

— Cent cinquante mille prisonniers, cent cinquante-trois aigles et drapeaux, cinq cent quarante et un canons de campagne, soixante-seize mitrailleuses, huit cents canons de forteresse, trois cent mille fusils, deux mille