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III


À sa grande surprise, Maurice vit que le 106e descendait à Reims et recevait l’ordre d’y camper. On n’allait donc pas à Châlons rejoindre l’armée ? Et, lorsque, deux heures plus tard, son régiment eut formé les faisceaux, à une lieue de la ville, du côté de Courcelles, dans la vaste plaine qui s’étend le long du canal de l’Aisne à la Marne, son étonnement grandit encore, en apprenant que toute l’armée de Châlons se repliait depuis le matin et venait bivouaquer en cet endroit. En effet, d’un bout de l’horizon à l’autre, jusqu’à Saint-Thierry et à la Neuvillette, au delà même de la route de Laon, des tentes se dressaient, les feux de quatre corps d’armée flamberaient là le soir. Évidemment, le plan qui avait prévalu était d’aller prendre position sous Paris, pour y attendre les Prussiens. Et il en fut très heureux. N’était-ce pas le plus sage ?

Cette après-midi du 21, Maurice la passa à flâner au travers du camp, en quête de nouvelles. On était très libre, la discipline semblait s’être relâchée encore, les hommes s’écartaient, rentraient à leur fantaisie. Lui, tranquillement, finit par retourner à Reims, où il voulait toucher un bon de cent francs, qu’il avait reçu de sa sœur Henriette. Dans un café, il entendit un sergent parler du mauvais esprit des dix-huit bataillons de la garde mobile de la Seine, qu’on venait de renvoyer à Paris : le 6e bataillon surtout avait failli tuer ses chefs. Là-bas, au camp, journellement, les généraux étaient insultés, et les soldats ne saluaient même plus le maréchal de Mac-