Page:Zola - La Débâcle.djvu/52

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Mahon, depuis Frœschwiller. Le café s’emplissait de voix, une violente discussion éclata entre deux bourgeois paisibles, au sujet du nombre d’hommes que le maréchal allait avoir sous ses ordres. L’un parlait de trois cent mille, c’était fou. L’autre, plus raisonnable, énumérait les quatre corps : le 12e, péniblement complété au camp, à l’aide de régiments de marche et d’une division d’infanterie de marine ; le 1er, dont les débris arrivaient débandés depuis le 14, et dont on reformait tant bien que mal les cadres ; enfin, le 5e, défait sans avoir combattu, emporté, disloqué dans la déroute, et le 7e qui débarquait, démoralisé lui aussi, amoindri de sa première division, qu’il venait seulement de retrouver à Reims, en pièces ; au plus, cent vingt mille hommes, en comptant la cavalerie de réserve, les divisions Bonnemain et Margueritte. Mais le sergent s’étant mêlé à la querelle, en traitant avec un mépris furieux cette armée, un ramassis d’hommes sans cohésion, un troupeau d’innocents menés au massacre par des imbéciles, les deux bourgeois, pris d’inquiétude, craignant d’être compromis, filèrent.

Dehors, Maurice tâcha de se procurer des journaux. Il se bourra les poches de tous les numéros qu’il put acheter ; et il les lisait en marchant, sous les grands arbres des magnifiques promenades qui bordent la ville. Où étaient donc les armées allemandes ? Il semblait qu’on les eût perdues. Deux sans doute se trouvaient du côté de Metz : la première, celle que le général Steinmetz commandait, surveillant la place ; la seconde, celle du prince Frédéric-Charles, tâchant de remonter la rive droite de la Moselle, pour couper à Bazaine la route de Paris. Mais la troisième armée, celle du prince royal de Prusse, l’armée victorieuse à Wissembourg et à Frœschwiller, et qui poursuivait le 1er corps et le 5e, où était-elle réellement, au milieu du gâchis des informations contradictoires ? Campait-elle encore à Nancy ? Arrivait-elle devant Châlons,