à peine formulé, de tenter encore le bonheur. Il fermait les yeux, il laissait un demi-sommeil le reprendre, et alors il se voyait confusément à Remilly, remarié, propriétaire d’un champ qui suffisait à nourrir un ménage de braves gens sans ambition. Cela était si léger, que cela n’existait pas, n’existerait certainement jamais. Il ne se croyait plus capable que d’amitié, il n’aimait ainsi Henriette que parce qu’il était le frère de Maurice. Puis, ce rêve indéterminé de mariage avait fini par être comme une consolation, une de ces imaginations qu’on sait irréalisables et dont on caresse ses heures de tristesse.
Henriette, elle, n’en était pas même effleurée. Au lendemain du drame atroce de Bazeilles, son cœur restait meurtri ; et, s’il y entrait un soulagement, une tendresse nouvelle, ce ne pouvait être qu’à son insu : tout un de ces sourds cheminements de la graine qui germe, sans que rien, au regard, révèle le travail caché. Elle ignorait jusqu’au plaisir qu’elle avait fini par prendre à rester des heures près du lit de Jean, à lui lire ces journaux, qui ne leur apportaient pourtant que du chagrin. Jamais sa main, en rencontrant la sienne, n’avait eu même une tiédeur ; jamais l’idée du lendemain ne l’avait laissée rêveuse, avec le souhait d’être aimée encore. Pourtant, elle n’oubliait, elle n’était consolée que dans cette chambre. Quand elle se trouvait là, s’occupant avec sa douceur active, son cœur se calmait, il lui semblait que son frère reviendrait prochainement, que tout s’arrangerait très bien, qu’on finirait par être tous heureux, en ne se quittant plus. Et elle en parlait sans trouble, tellement il lui paraissait naturel que les choses fussent ainsi, sans qu’il lui vînt à la pensée de s’interroger davantage, dans le don chaste et ignoré de tout son cœur.
Mais, un après-midi, comme elle se rendait à l’ambulance, la terreur qui la glaça, en apercevant dans la cuisine un capitaine prussien et deux autres officiers, lui fit