Aller au contenu

Page:Zola - La Débâcle.djvu/527

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

point ?… Je ne puis pas me souvenir, j’étais si triste, si malade du départ d’Honoré, et ç’a été peut-être parce que vous me parliez de lui et que vous aviez l’air de l’aimer… Mon Dieu ! que de nuits j’ai passées à pleurer toutes les larmes de mon corps, en songeant à ça ! C’est abominable d’avoir fait une chose qu’on ne voulait pas faire, sans pouvoir s’expliquer ensuite pourquoi on l’a faite… Et il m’avait pardonné, il m’avait dit que, si ces cochons de Prussiens ne le tuaient pas, il m’épouserait tout de même, quand il rentrerait du service… Et vous croyez que je vais retourner avec vous ? Ah ! tenez ! sous le couteau, je dirai non, non, jamais !

Cette fois, Goliath s’assombrit. Il l’avait connue soumise, il la sentait inébranlable, d’une résolution farouche. Tout bon enfant qu’il fût, il la voulait même par la force, maintenant qu’il était le maître ; et, s’il n’imposait pas sa volonté violemment, c’était par une prudence innée, un instinct de ruse et de patience. Ce colosse, aux gros poings, n’aimait pas les coups. Aussi songea-t-il à un autre moyen de la soumettre.

— Bon ! puisque vous ne voulez pas de moi, je vais prendre le petit.

— Comment, le petit ?

Charlot, oublié, était resté dans les jupes de sa mère, se retenant pour ne pas éclater en sanglots, au milieu de la querelle. Et Goliath, qui avait enfin quitté sa chaise, s’approcha.

— N’est-ce pas ? tu es mon petit à moi, un petit Prussien… Viens, que je t’emmène !

Mais, déjà, Silvine, frémissante, l’avait saisi dans ses bras, le serrait contre sa poitrine.

— Lui, un Prussien, non ! Un Français, né en France !

— Un Français, regardez-le donc, regardez-moi donc ! C’est tout mon portrait. Est-ce qu’il vous ressemble, à vous ?