Page:Zola - La Débâcle.djvu/528

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Elle vit alors seulement ce grand gaillard blond, à la barbe et aux cheveux frisés, à l’épaisse face rose, dont les gros yeux bleus luisaient d’un éclat de faïence. Et c’était bien vrai, le petit avait la même tignasse jaune, les mêmes joues, les mêmes yeux clairs, toute la race de là-bas en lui. Elle-même se sentait autre, avec les mèches de ses cheveux noirs, qui glissaient de son chignon sur son épaule, dans son désordre.

— Je l’ai fait, il est à moi ! reprit-elle furieusement. Un Français qui ne saura jamais un mot de votre sale allemand, oui ! un Français qui ira un jour vous tuer tous, pour venger ceux que vous avez tués !

Charlot s’était mis à pleurer et à crier, cramponné à son cou.

— Maman, maman ! j’ai peur, emmène-moi !

Alors, Goliath, qui ne voulait sans doute pas de scandale, recula, se contenta de déclarer, en reprenant le tutoiement, d’une voix dure :

— Retiens bien ce que je vais te dire, Silvine… Je sais tout ce qui se passe ici. Vous recevez les francs-tireurs des bois de Dieulet, ce Sambuc qui est le frère de votre garçon de ferme, un bandit que vous fournissez de pain. Et je sais que ce garçon, ce Prosper, est un chasseur d’Afrique, un déserteur, qui nous appartient ; et je sais encore que vous cachez un blessé, un autre soldat qu’un mot de moi ferait conduire en Allemagne, dans une forteresse… Hein ? tu le vois, je suis bien renseigné…

Elle l’écoutait maintenant, muette, terrifiée, tandis que Charlot répétait dans son cou, de sa petite voix bégayante :

— Oh ! maman, maman, emmène-moi, j’ai peur !

— Eh bien ! reprit Goliath, je ne suis certainement pas méchant, et je n’aime guère les querelles, tu peux le dire ; mais je te jure que je les ferai tous arrêter, le père Fouchard et les autres, si tu ne me reçois pas dans ta chambre,