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face à face, l’un dans l’exaspération du coup de démence qui emportait Paris entier, ce mal venu de loin, des ferments mauvais du dernier règne, l’autre fort de son bon sens et de son ignorance, sain encore d’avoir poussé à part, dans la terre du travail et de l’épargne. Tous les deux étaient frères pourtant, un lien solide les attachait, et ce fut un arrachement, lorsque, soudain, une bousculade qui se produisit, les sépara.

— Au revoir, Maurice !

— Au revoir, Jean !

C’était un régiment, le 79e, dont la masse compacte, débouchant d’une rue voisine, venait de rejeter la foule sur les trottoirs. Il y eut de nouveaux cris, mais on n’osa barrer la chaussée aux soldats, que les officiers entraînaient. Et la petite escouade du 124e, ainsi dégagée, put suivre, sans être retenue davantage.

— Au revoir, Jean !

— Au revoir, Maurice !

De la main, ils se saluaient encore, cédant à la fatalité violente de cette séparation, restant quand même le cœur plein l’un de l’autre.

Les jours suivants, Maurice oublia d’abord, au milieu des événements extraordinaires qui se précipitaient. Le 19, Paris s’était réveillé sans gouvernement, plus surpris qu’effrayé d’apprendre le coup de panique qui venait d’emporter à Versailles, pendant la nuit, l’armée, les services publics, les ministres ; et, comme le temps était superbe, par ce beau dimanche de mars, Paris descendit tranquillement dans les rues regarder les barricades. Une grande affiche blanche du Comité central, convoquant le peuple pour des élections communales, semblait très sage. On s’étonnait simplement de la voir signée par des noms profondément inconnus. À cette aube de la Commune, Paris était contre Versailles, dans la rancune de ce qu’il avait souffert et dans les soupçons qui le han-