Page:Zola - La Débâcle.djvu/599

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neuf heures, dix heures peut-être. L’exécrable besogne qu’il faisait l’étouffait maintenant d’une nausée, ainsi qu’un vin immonde qui revient dans l’ivresse. Autour de lui, les maisons en flammes commençaient à l’envelopper d’une chaleur insupportable, d’un air brûlant d’asphyxie. Le carrefour, avec ses tas de pavés qui le fermaient, était devenu un camp retranché, défendu par les incendies, sous une pluie de tisons. N’étaient-ce pas les ordres ? Incendier les quartiers en abandonnant les barricades, arrêter les troupes par une ligne dévorante de brasiers, brûler Paris à mesure qu’on le rendrait. Et, déjà, il sentait bien que les maisons de la rue du Bac ne brûlaient pas seules. Derrière son dos, il voyait le ciel s’embraser d’une immense lueur rouge, il entendait un grondement lointain, comme si toute la ville s’allumait. À droite, le long de la Seine, d’autres incendies géants devaient éclater. Depuis longtemps, il avait vu disparaître Chouteau, fuyant les balles. Les plus acharnés de ses camarades filaient eux-mêmes un à un, épouvantés par l’idée d’être tournés d’un moment à l’autre. Enfin, il restait seul, allongé entre deux sacs de terre, ne pensant qu’à tirer toujours, lorsque les soldats, qui avaient cheminé à travers les cours et les jardins, débouchèrent par une maison de la rue du Bac, et se rabattirent.

Dans l’exaltation de cette lutte suprême, il y avait deux grands jours que Maurice n’avait pas songé à Jean. Et Jean non plus, depuis qu’il était entré dans Paris avec son régiment, dont on avait renforcé la division Bruat, ne s’était pas, une seule minute, souvenu de Maurice. La veille, il avait fait le coup de feu au Champ de Mars et sur l’esplanade des Invalides. Puis, ce jour-là, il n’avait quitté la place du Palais-Bourbon que vers midi, pour enlever les barricades du quartier, jusqu’à la rue des Saints-Pères. Lui, si calme, s’était peu à peu exaspéré, dans cette guerre fratricide, au milieu de camarades dont