passages de soldats épuisaient de nouveau les campagnes et les villes. Le matin, comme elle se levait au petit jour, pour aller prendre le chemin de fer à Sedan, elle avait vu la cour de la ferme pleine d’un flot de cavaliers, qui avaient dormi là, couchés pêle-mêle, enveloppés dans leurs manteaux. Ils étaient si nombreux, qu’ils couvraient la terre. Puis, à un brusque appel de clairon, tous s’étaient dressés, silencieux, drapés à longs plis, si serrés les uns contre les autres, qu’elle avait cru assister à la résurrection d’un champ de bataille, sous l’éclat des trompettes du jugement dernier. Et elle retrouvait encore des Prussiens à Saint-Denis, et c’étaient eux qui jetaient ce cri, qui la bouleversait :
— Tout le monde descend, on ne va pas plus loin… Paris brûle, Paris brûle…
Éperdue, Henriette se précipita, avec sa petite valise, demanda des renseignements. On se battait depuis deux jours dans Paris, la ligne ferrée était coupée, les Prussiens restaient en observation. Mais elle voulait passer quand même, elle avisa sur le quai le capitaine qui commandait la compagnie occupant la gare, elle courut à lui.
— Monsieur, je vais rejoindre mon frère dont je suis affreusement inquiète. Je vous en supplie, donnez-moi le moyen de continuer ma route.
Elle s’arrêta, surprise, en reconnaissant le capitaine, dont un bec de gaz venait d’éclairer le visage.
— C’est vous, Otto… Oh ! Soyez bon, puisque le hasard nous remet une fois encore face à face.
Otto Gunther, le cousin, était toujours serré correctement dans son uniforme de capitaine de la garde. Il avait son air sec de bel officier bien tenu. Et lui ne reconnaissait pas cette femme mince, l’air chétif, avec ses pâles cheveux blonds, son joli visage doux, cachés sous le crêpe de son chapeau. Ce fut seulement à la clarté brave et droite de ses yeux, qu’il finit par se souvenir. Il eut simplement un petit geste.