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Page:Zola - La Débâcle.djvu/604

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— Vous savez que j’ai un frère soldat, continuait ardemment Henriette. Il est resté dans Paris, j’ai peur qu’il ne se soit mêlé à toute cette horrible lutte… Je vous en supplie, Otto, donnez-moi le moyen de continuer ma route.

Alors, il se décida à parler.

— Mais je vous assure que je ne puis rien… Depuis hier, les trains ne circulent plus, je crois qu’on a enlevé des rails, du côté des remparts. Et je n’ai à ma disposition ni voiture, ni cheval, ni homme pour vous conduire.

Elle le regardait, elle ne bégayait plus que des plaintes sourdes, dans son chagrin de le trouver si froid, si résolu à ne pas lui venir en aide.

— Oh ! mon Dieu, vous ne voulez rien faire… Oh ! mon Dieu, à qui vais-je m’adresser ?

Ces Prussiens qui étaient les maîtres tout-puissants, qui, d’un mot, auraient bouleversé la ville, réquisitionné cent voitures, fait sortir des écuries mille chevaux ! Et il refusait de son air hautain de vainqueur dont la loi était de ne jamais intervenir dans les affaires des vaincus, les jugeant sans doute malpropres, salissantes pour sa gloire toute fraîche.

— Enfin, reprit Henriette, en tâchant de se calmer, vous savez au moins ce qui se passe, vous pouvez bien me le dire.

Il eut un sourire mince, à peine sensible.

— Paris brûle… Tenez ! venez par ici, on voit parfaitement.

Et il marcha devant elle, il sortit de la station, alla le long des rails pendant une centaine de pas, pour atteindre une passerelle de fer, construite en travers de la voie. Quand ils eurent gravi l’étroit escalier et qu’ils se trouvèrent en haut, appuyés à la rampe, l’immense plaine rase se déroula, par-dessus un talus.

— Vous voyez, Paris brûle…