Page:Zola - La Débâcle.djvu/610

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offrait l’avantage d’immobiliser tout le côté atteint et d’empêcher l’hémorragie.

— Peux-tu marcher ?

— Oui, je crois.

Mais il n’osait l’emmener ainsi, en manches de chemise. Une brusque inspiration le fit courir dans une rue voisine, où il avait vu un soldat mort, et il revint avec une capote et un képi. Il lui jeta la capote sur les épaules, l’aida à passer son bras valide, dans la manche gauche. Puis, quand il l’eut coiffé du képi :

— Là, tu es des nôtres… Où allons-nous ?

C’était le grand embarras. Tout de suite, dans son réveil d’espoir et de courage, l’angoisse revint. Où trouver un abri assez sûr ? Les maisons étaient fouillées, on fusillait tous les communards pris les armes à la main. Et, d’ailleurs, ni l’un ni l’autre ne connaissait quelqu’un dans ce quartier, pas une âme à qui demander asile, pas une cachette où disparaître.

— Le mieux encore, ce serait chez moi, dit Maurice. La maison est à l’écart, personne au monde n’y viendra… Mais c’est de l’autre côté de l’eau, rue des Orties.

Jean, désespéré, irrésolu, mâchait de sourds jurons.

— Nom de Dieu ! Comment faire ?

Il ne fallait pas songer à filer par le pont Royal, que les incendies éclairaient d’une éclatante lumière de plein soleil. À chaque instant, des coups de feu partaient des deux rives. D’ailleurs, on se serait heurté aux Tuileries en flammes, au Louvre barricadé, gardé, comme à une barrière infranchissable.

— Alors, c’est foutu, pas moyen de passer ! déclara Jean, qui avait habité Paris pendant six mois, au retour de la campagne d’Italie.

Brusquement, une idée lui vint. S’il y avait des barques, au bas du pont Royal, comme autrefois, on allait pouvoir tenter le coup. Ce serait très long, dange-