Page:Zola - La Débâcle.djvu/624

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

soir, ce jour-là, l’armée de Versailles était maîtresse de la moitié de Paris, du parc de Montsouris à la gare du Nord, en passant par les grandes voies. Et les derniers membres de la Commune, une vingtaine, avaient dû se réfugier boulevard Voltaire, à la mairie du XIe arrondissement.

Un silence se fit, Maurice murmura, les yeux au loin sur la ville, par la fenêtre ouverte à l’air tiède de la nuit :

— Enfin, ça continue, Paris brûle !

C’était vrai, les flammes avaient reparu, dès la tombée du jour ; et, de nouveau, le ciel s’empourprait d’une lueur scélérate. Dans l’après-midi, lorsque la poudrière du Luxembourg avait sauté avec un fracas épouvantable, le bruit s’était répandu que le Panthéon venait de crouler au fond des catacombes. Toute la journée d’ailleurs, les incendies de la veille avaient continué, le palais du Conseil d’État et les Tuileries brûlaient, le ministère des Finances fumait à gros tourbillons. Dix fois, il avait fallu fermer la fenêtre, sous la menace d’une nuée de papillons noirs, des vols incessants de papiers brûlés, que la violence du feu emportait au ciel, d’où ils retombaient en pluie fine ; et Paris entier en fut couvert, et l’on en ramassa jusqu’en Normandie, à vingt lieues. Puis, maintenant, ce n’étaient pas seulement les quartiers de l’ouest et du sud qui flambaient, les maisons de la rue Royale, celles du carrefour de la Croix-Rouge et de la rue Notre-Dame-des-Champs. Tout l’est de la ville semblait en flammes, l’immense brasier de l’Hôtel de Ville barrait l’horizon d’un bûcher géant. Et il y avait encore là, allumés comme des torches, le Théâtre-Lyrique, la mairie du IVe arrondissement, plus de trente maisons des rues voisines ; sans compter le théâtre de la Porte-Saint-Martin, au nord, qui rougeoyait à l’écart, ainsi qu’une meule, au fond des champs ténébreux. Des vengeances particulières s’exerçaient, peut-être aussi des calculs criminels s’achar-