Page:Zola - La Débâcle.djvu/630

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Ardemment, Maurice continua :

— Rappelle-toi donc ce que tu m’as dit, le lendemain de Sedan, quand tu prétendais que ce n’était pas mauvais, parfois, de recevoir une bonne gifle… Et tu ajoutais que, lorsqu’on avait de la pourriture quelque part, un membre gâté, ça valait mieux de le voir par terre, abattu d’un coup de hache, que d’en crever comme d’un choléra… J’ai songé souvent à cette parole, depuis que je me suis trouvé seul, enfermé dans ce Paris de démence et de misère… Eh bien ! c’est moi qui suis le membre gâté que tu as abattu…

Son exaltation grandissait, il n’écoutait même plus les supplications d’Henriette et de Jean, terrifiés. Et il continuait, dans une fièvre chaude, abondante en symboles, en images éclatantes. C’était la partie saine de la France, la raisonnable, la pondérée, la paysanne, celle qui était restée le plus près de la terre, qui supprimait la partie folle, exaspérée, gâtée par l’empire, détraquée de rêveries et de jouissances ; et il lui avait ainsi fallu couper dans sa chair même, avec un arrachement de tout l’être, sans trop savoir ce qu’elle faisait. Mais le bain de sang était nécessaire, et de sang français, l’abominable holocauste, le sacrifice vivant, au milieu du feu purificateur. Désormais, le calvaire était monté jusqu’à la plus terrifiante des agonies, la nation crucifiée expiait ses fautes et allait renaître.

— Mon vieux Jean, tu es le simple et le solide… Va, va ! prends la pioche, prends la truelle ! et retourne le champ, et rebâtis la maison !… Moi, tu as bien fait de m’abattre, puisque j’étais l’ulcère collé à tes os !

Il délira encore, il voulut se lever, s’accouder à la fenêtre.

— Paris brûle, rien ne restera… Ah ! cette flamme qui emporte tout, qui guérit tout, je l’ai voulue, oui ! Elle fait la bonne besogne… Laissez-moi descendre, laissez-moi achever l’œuvre d’humanité et de liberté…