Page:Zola - La Débâcle.djvu/633

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flânerie heureuse voir les décombres fumants des incendies, des mères tenant à la main des enfants rieurs, s’arrêtaient, écoutaient un instant avec intérêt les fusillades assourdies de la caserne Lobau.

Le dimanche soir, au déclin du jour, lorsque Jean monta le sombre escalier de la maison, rue des Orties, un affreux pressentiment lui serrait le cœur. Il entra, et tout de suite il vit l’inévitable fin, Maurice mort sur le petit lit, étouffé par l’hémorragie que Bouroche redoutait. L’adieu rouge du soleil glissait par la fenêtre ouverte, deux bougies brûlaient déjà sur la table, au chevet du lit. Et Henriette, à genoux dans ses vêtements de veuve qu’elle n’avait pas quittés, pleurait en silence.

Au bruit, elle leva la tête, elle eut un frisson, à voir entrer Jean. Lui, éperdu, allait se précipiter, prendre ses mains, mêler d’une étreinte sa douleur à la sienne. Mais il sentit les petites mains tremblantes, tout l’être frémissant et révolté qui se reculait, qui s’arrachait, à jamais. N’était-ce pas fini entre eux, maintenant ? La tombe de Maurice les séparait, sans fond. Et lui aussi ne put que tomber à genoux, en sanglotant tout bas.

Pourtant, au bout d’un silence, Henriette parla.

— Je tournais le dos, je tenais un bol de bouillon, quand il a jeté un cri… Je n’ai eu que le temps d’accourir, et il est mort, en m’appelant, en vous appelant, vous aussi, dans un flot de sang…

Son frère, mon Dieu ! son Maurice adoré par delà la naissance, qui était un autre elle-même, qu’elle avait élevé, sauvé ! son unique tendresse, depuis qu’elle avait vu, à Bazeilles, contre un mur, le corps de son pauvre Weiss troué de balles ! La guerre achevait donc de lui prendre tout son cœur, elle resterait donc seule au monde, veuve et dépareillée, sans personne qui l’aimerait !

— Ah ! bon sang ! cria Jean dans un sanglot, c’est ma