Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

tendres images de Marie, à son étroite bouche riante, à ses fines mains tendues. Peu à peu, il les avait toutes collectionnées : Marie entre un lis et une quenouille, Marie portant l’enfant comme une grande sœur, Marie couronnée de roses, Marie couronnée d’étoiles. C’était pour lui une famille de belles jeunes filles, ayant une ressemblance de grâce, le même air de bonté, le même visage suave, si jeunes sous leurs voiles, que, malgré leur nom de mère de Dieu, il n’avait point peur d’elles comme des grandes personnes. Elles lui semblaient avoir son âge, être les petites filles qu’il aurait voulu rencontrer, les petites filles du ciel avec lesquelles les petits garçons morts à sept ans doivent jouer éternellement, dans un coin du paradis. Mais il était grave déjà ; il garda, en grandissant, le secret de son religieux amour, pris des pudeurs exquises de l’adolescence. Marie vieillissait avec lui, toujours plus âgée d’un ou deux ans, comme il convient à une amie souveraine. Elle avait vingt ans, lorsqu’il en avait dix-huit. Elle ne l’embrassait plus la nuit sur le front ; elle se tenait à quelques pas, les bras croisés, dans son sourire chaste, adorablement douce. Lui, ne la nommait plus que tout bas, éprouvant comme un évanouissement de son cœur, chaque fois que le nom chéri lui passait sur les lèvres, dans ses prières. Il ne rêvait plus des jeux enfantins, au fond du jardin céleste, mais une contemplation continue, en face de cette figure blanche, si pure, à laquelle il n’aurait pas voulu toucher de son souffle. Il cachait à sa mère elle-même qu’il l’aimât si fort.

Puis, à quelques années de là, lorsqu’il fut au séminaire, cette belle tendresse pour Marie, si droite, si naturelle, eut de sourdes inquiétudes. Le culte de Marie était-il nécessaire au salut ? Ne volait-il pas Dieu, en accordant à Marie une part de son amour, la plus grande part, ses pensées, son cœur, son tout ? Questions troublantes, combat intérieur qui le passionnait, qui l’attachait davantage. Alors, il s’en-