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LES ROUGON-MACQUART.

fonça dans les subtilités de son affection. Il se donna des délices inouïes à discuter la légitimité de ses sentiments. Les livres de dévotion à la Vierge l’excusèrent, le ravirent, l’emplirent de raisonnements, qu’il répétait avec des recueillements de prière. Ce fut là qu’il apprit à être l’esclave de Jésus en Marie. Il allait à Jésus par Marie. Et il citait toutes sortes de preuves, il distinguait, il tirait des conséquences : Marie, à laquelle Jésus avait obéi sur la terre, devait être obéie par tous les hommes ; Marie gardait sa puissance de mère dans le ciel, où elle était la grande dispensatrice des trésors de Dieu, la seule qui pût l’implorer, la seule qui distribuât les trônes ; Marie, simple créature auprès de Dieu, mais haussée jusqu’à lui, devenait ainsi le lien humain du ciel à la terre, l’intermédiaire de toute grâce, de toute miséricorde ; et la conclusion était toujours qu’il fallait l’aimer par-dessus tout, en Dieu lui-même. Puis, c’étaient des curiosités théologiques plus ardues, le mariage de l’Époux céleste, le Saint-Esprit scellant le vase d’élection, mettant la Vierge Mère dans un miracle éternel, donnant sa pureté inviolable à la dévotion des hommes ; c’était la Vierge victorieuse de toutes les hérésies, l’ennemie irréconciliable de Satan, l’Ève nouvelle annoncée comme devant écraser la tête du serpent, la Porte auguste de la grâce, par laquelle le Sauveur était entré une première fois, par laquelle il entrerait de nouveau, au dernier jour, prophétie vague, annonce d’un rôle plus large de Marie, qui laissait Serge sous le rêve de quelque épanouissement immense d’amour. Cette venue de la femme dans le ciel jaloux et cruel de l’ancien Testament, cette figure de blancheur, mise au pied de la Trinité redoutable, était pour lui la grâce même de la religion, ce qui le consolait de l’épouvante de la foi, son refuge d’homme perdu au milieu des mystères du dogme. Et quand il se fut prouvé, points par points, longuement, qu’elle était le chemin de Jésus, aisé, court,