Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
LES ROUGON-MACQUART.

au milieu de la blancheur ardente que vous habitez. Marie conçue sans péché, anéantissez-moi au fond de la neige immaculée tombant de chacun de vos membres. Vous êtes le prodige d’éternelle chasteté. Votre race a poussé sur un rayon, ainsi qu’un arbre merveilleux qu’aucun germe n’a planté. Votre fils Jésus est né du souffle de Dieu, vous même êtes née sans que le ventre de votre mère fût souillé, et je veux croire que cette virginité remonte ainsi d’âge en âge, dans une ignorance sans fin de la chair. Oh ! vivre, grandir, en dehors de la honte des sens ! Oh ! multiplier, enfanter, sans la nécessité abominable du sexe, sous la seule approche d’un baiser céleste !

Cet appel désespéré, ce cri épuré de désir, avait rassuré le jeune prêtre. La Vierge, toute blanche, les yeux au ciel, semblait sourire plus doucement de ses minces lèvres roses. Il reprit d’une voix attendrie :

— Je voudrais encore être enfant. Je voudrais n’être jamais qu’un enfant marchant à l’ombre de votre robe. J’étais tout petit, je joignais les mains pour dire le nom de Marie. Mon berceau était blanc, mon corps était blanc, toutes mes pensées étaient blanches. Je vous voyais distinctement, je vous entendais m’appeler, j’allais à vous dans un sourire, sur des roses effeuillées. Et rien autre, je ne sentais pas, je ne pensais pas, je vivais juste assez pour être une fleur à vos pieds. On ne devrait point grandir. Vous n’auriez autour de vous que des têtes blondes, un peuple d’enfants qui vous aimeraient, les mains pures, les lèvres saines, les membres tendres, sans une souillure, comme au sortir d’un bain de lait. Sur la joue d’un enfant, on baise son âme. Seul un enfant peut dire votre nom sans le salir. Plus tard, la bouche se gâte, empoisonne les passions. Moi-même, qui vous aime tant, qui me suis donné à vous, je n’ose à toute heure vous appeler, ne voulant pas vous faire rencontrer avec mes impuretés d’homme. J’ai prié, j’ai corrigé