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LES ROUGON-MACQUART.

— Maintenant, personne n’entrera. Je n’entendrai plus les cloches… Toi, quand tu parles, cela me repose.

— Veux-tu boire ? demanda-t-elle.

Il fit signe qu’il n’avait pas soif. Il regardait les mains d’Albine d’un air si surpris, si charmé de les voir, qu’elle en avança une, au bord de l’oreiller, en souriant. Alors, il laissa glisser sa tête, il appuya une joue sur cette petite main fraîche. Il eut un léger rire, il dit :

— Ah ! c’est doux comme de la soie. On dirait qu’elle souffle de l’air dans mes cheveux… Ne la retire pas, je t’en prie.

Puis, il y eut un long silence. Ils se regardaient avec une grande amitié. Albine se voyait paisiblement dans les yeux vides du convalescent. Serge semblait écouter quelque chose de vague que la petite main fraîche lui confiait.

— Elle est très-bonne, ta main, reprit-il. Tu ne peux pas t’imaginer comme elle me fait du bien… Elle a l’air d’entrer au fond de moi, pour m’enlever les douleurs que j’ai dans les membres. C’est une caresse partout, un soulagement, une guérison.

Il frottait doucement sa joue, il s’animait comme ressuscité.

— Dis ? tu ne me donneras rien de mauvais à boire, tu ne me tourmenteras pas avec toutes sortes de remèdes ?… Ta main me suffit, vois-tu. Je suis venu pour que tu la mettes là, sous ma tête.

— Mon bon Serge, murmura Albine, tu as bien souffert, n’est-ce pas ?

— Souffert ? oui, oui ; mais il y a longtemps… J’ai mal dormi, j’ai eu des rêves épouvantables. Si je pouvais, je te raconterais tout cela.

Il ferma un instant les yeux, il fit un grand effort de mémoire.

— Je ne vois que du noir, balbutia-t-il. C’est singulier,