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LES ROUGON-MACQUART.

ouvertes. Il murmurait : « Tout à l’heure, plus tard. » Il demeurait anxieux, il avait l’inquiétude du premier coup de lumière qu’il recevrait dans les yeux. Le soir arriva, qu’il n’avait pu prendre la décision de revoir le soleil en face. Il était resté le visage tourné vers les rideaux, suivant sur la transparence du linge le matin pâle, l’ardent midi, le crépuscule violâtre, toutes les couleurs, toutes les émotions du ciel. Là, se peignait jusqu’au frisson que le battement d’ailes d’un oiseau donne à l’air tiède, jusqu’à la joie des odeurs, palpitant dans un rayon. Derrière ce voile, derrière ce rêve attendri de la vie puissante du dehors, il écoutait monter le printemps. Et même il étouffait un peu, par moments, lorsque l’afflux du sang nouveau de la terre, malgré l’obstacle des rideaux, arrivait à lui trop rudement.

Et, le matin suivant, il dormait encore, lorsque Albine, brusquant la guérison, lui cria :

— Serge ! Serge ! voici le soleil !

Elle tirait vivement les rideaux, elle ouvrait les fenêtres toutes larges. Lui, se leva, se mit à genoux sur son lit, suffoquant, défaillant, les mains serrées contre sa poitrine, pour empêcher son cœur de se briser. En face de lui, il avait le grand ciel, rien que du bleu, un infini bleu ; il s’y lavait de la souffrance, il s’y abandonnait, comme dans un bercement léger, il y buvait de la douceur, de la pureté, de la jeunesse. Seule, la branche dont il avait vu l’ombre, dépassait la fenêtre, tachait la mer bleue d’une verdure vigoureuse ; et c’était déjà là un jet trop fort pour ses délicatesses de malade, qui se blessaient de la salissure des hirondelles volant à l’horizon. Il naissait. Il poussait de petits cris involontaires, noyé de clarté, battu par des vagues d’air chaud, sentant couler en lui tout un engouffrement de vie. Ses mains se tendirent, et il s’abattit, il retomba sur l’oreiller, dans une pâmoison.