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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

quelque déchirure du plafond, qui traînait, pareille à un coin de rideau arraché.

Cependant, Albine regardait Serge dormir. Elle ne l’avait point encore vu dans un tel accablement des membres, les mains ouvertes sur le gazon, la face morte. Il était ainsi mort pour elle, elle pensait qu’elle pouvait le baiser au visage, sans qu’il sentît même son baiser. Et, triste, distraite, elle occupait ses mains oisives à effeuiller les roses qu’elle trouvait à sa portée. Au-dessus de sa tête, une gerbe énorme retombait, effleurant ses cheveux, mettant des roses à son chignon, à ses oreilles, à sa nuque, lui jetant aux épaules un manteau de roses. Plus haut, sous ses doigts, les roses pleuvaient, de larges pétales tendres, ayant la rondeur exquise, la pureté à peine rougissante d’un sein de vierge. Les roses, comme une tombée de neige vivante, cachaient déjà ses pieds repliés dans l’herbe. Les roses montaient à ses genoux, couvraient sa jupe, la noyaient jusqu’à la taille ; tandis que trois feuilles de rose égarées, envolées sur son corsage, à la naissance de la gorge, semblaient mettre là trois bouts de sa nudité adorable.

— Oh ! le paresseux ! murmura-t-elle, prise d’ennui, ramassant deux poignées de roses et les jetant sur la face de Serge pour le réveiller.

Il resta appesanti, avec des roses qui lui bouchaient les yeux et la bouche. Cela fit rire Albine. Elle se pencha. Elle lui baisa de tout son cœur les deux yeux, elle lui baisa la bouche, soufflant ses baisers pour faire envoler les roses ; mais les roses lui restaient aux lèvres, et elle eut un rire plus sonore, tout amusée par cette caresse dans les fleurs.

Serge s’était soulevé lentement. Il la regardait, frappé d’étonnement, comme effrayé de la trouver là. Il lui demanda :

— Qui es-tu, d’où viens-tu, que fais-tu à mon côté ?

Elle, souriait toujours, ravie de le voir ainsi s’éveiller.