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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/172

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LES ROUGON-MACQUART.

Alors, il parut se souvenir, il reprit, avec un geste de confiance heureuse :

— Je sais, tu es mon amour, tu viens de ma chair, tu attends que je te prenne entre mes bras, pour que nous ne fassions plus qu’un… Je rêvais de toi. Tu étais dans ma poitrine, et je te donnais mon sang, mes muscles, mes os. Je ne souffrais pas. Tu me prenais la moitié de mon cœur, si doucement, que c’était en moi une volupté de me partager ainsi. Je cherchais ce que j’avais de meilleur, ce que j’avais de plus beau, pour te l’abandonner. Tu aurais tout emporté, que je t’aurais dit merci… Et je me suis réveillé, quand tu es sortie de moi. Tu es sortie par mes yeux et par ma bouche, je l’ai bien senti. Tu étais toute tiède, toute parfumée, si caressante que c’est le frisson même de ton corps qui m’a mis sur mon séant.

Albine, en extase, l’écoutait parler. Enfin, il la voyait ; enfin, il achevait de naître, il guérissait. Elle le supplia de continuer, les mains tendues :

— Comment ai-je fait pour vivre sans toi ? murmura-t-il. Mais je ne vivais pas, j’étais pareil à une bête ensommeillée… Et te voilà à moi, maintenant ! Et tu n’es autre que moi-même ! Écoute, il faut ne jamais me quitter ; car tu es mon souffle, tu emporterais ma vie. Nous resterons en nous. Tu seras dans ma chair, comme je serai dans la tienne. Si je t’abandonnais un jour, que je sois maudit, que mon corps se sèche ainsi qu’une herbe inutile et mauvaise !

Il lui prit les mains, en répétant d’une voix frémissante d’admiration :

— Comme tu es belle !

Albine, dans la poussière du soleil qui tombait, avait une chair de lait, à peine dorée d’un reflet de jour. La pluie de roses, autour d’elle, sur elle, la noyait dans du rose. Ses cheveux blonds, que son peigne attachait mal, la coif-